FELIPE MAIA

Journalist, ethnomusicologist, d.j.

I’m a Brazilian journalist and ethnomusicologist (anthropology + music + sound) based in Europe. In the past ten years, I’ve worked with a number of media outlets and led several projects crossing popular music and digital culture on topics like Latin American sounds, electronic-sonic technologies and Global South dialogs.
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[Trax Magazine] À voir : Le MC de grime brésilien SD9 rend hommage à “La Haine” dans un nouveau clip fascinant

This is a story assignment for Trax Magazine. It was first published in October 2020.


L’artiste carioca SD9 ignore sans doute le fait que Vincent Cassel vit désormais le rêve tropical à Rio de Janeiro, depuis son domicile dans les beaux quartiers de la zone sud de la ville. Car le Vinz qu’il connaît n’est qu’un jeune homme de la banlieue parisienne qui se réveille tard le matin, fait sa toilette le visage tendu et se jette à lui-même des regards noir dans le miroir: « C’est à moi que tu parles ?! » En portugais brésilien, SD9 a d’ailleurs adapté cette punchline du film La Haine en un rageur « Neguinho, tá pensando o quê da vida? » dans son tout nouveau clip intitulé “40º.40”.

La vidéo est un hommage que l’artiste et les jeunes réalisateurs Wander Scheeffër et Eduardo Santana rendent au film de Mathieu Kassovitz à l’occasion de son 25ème anniversaire. En première chez Trax, la vidéo sort dans la foulée de l’album homonyme de SD9, premier disque d’un artiste que l’on présente comme l’un des principaux MCs de la scène de grime brésilien.

Au Brésil, le grime commence tout juste à gagner en popularité. Voilà seulement deux ans que le mouvement prend de l’ampleur, même s’il lui arrivait régulièrement depuis les années 2000 de faire quelques apparitions dans les sets des DJs brésiliens, entre deux morceaux de bass music ou de hip-hop expérimental. Mais depuis 2015, le genre trouve un écho local et voit les producteurs et MCs du pays s’y lancer à corps perdu, comme des guerriers prêt à se battre pour cette musique. « SD, c’est parce que je me considère comme un soldat. Nous sommes tous des soldats qui se battent tous les jours », raconte SD9. « Le 9, c’est parce que je suis le ‘fenômeno’, comme Ronaldo. »

Il est vrai que la trajectoire de SD9 dans la musique n’a pas grand chose à envier aux meilleurs buts de Ronaldo pour la seleção. En 2018, le MC sort son premier morceau – “Badboy” – et enchaîne dans les mois suivants les showcases dans les clubs de Rio. C’est là qu’il retrouve d’autres fans de grime comme lui, des DJs et des producteurs qui deviendront les collaborateurs de l’impeccable album 40º.40 sorti en juillet dernier.

« Ce qui fait que ma musique est unique, c’est que je mélange le grime avec du baile funk proibidão », explique SD9, en évoquant ce sous-genre qui enflamme les soirées de la banlieue de Rio avec ses lyrics explicites et ses rythmiques débridées. « Et je vois bien que ce que je fais parlent aux gens qui ont vécu des expériences comme celles que j’ai vécues. »

Parmi ces histoires, on retrouve celle racontée dans le clip de “40º.40”. En suivant le monologue inspiré par Vinz, SD9 apparaît avec le maillot du PSG et lâche des couplets féroces sur la banalité des assassinats, les nuits d’amour frivoles, la brutalité policière et les rencontres entre potes. En fond sonore, sur un beat signé par le producteur brésilien Vhoor, résonne le sample de “Vida Loka Pt. 2” – chanson du légendaire groupe de rap brésilien Racionais MCs. « La Haine est un film qui me parle car il correspond à notre réalité ici à Rio. On y parle d’inégalité sociale, du racisme, de violence », explique SD9 en rappelant que dans toutes les banlieues du monde, les discussions mythomanes, les histoires exagérées et les vannes malicieuses sont les mêmes. « J’avoue, j’ai déjà voulu tuer un mec. Il y a une colère et une sensation de révolte qui m’habitent, c’est un truc de dingue. Mais comme dans le film : l’important n’est pas la chute mais l’atterrissage. »

© Hildemar Terceto

Jusqu’ici, tout va bien : pas d’atterrissage ni de chute pour le MC de Rio. La scène grime au Brésil est en pleine ascension et a même la pandémie n’est pas parvenu à stopper cet élan créatif. Dans ce contexte, la chaine YouTube du Brasil Grime Show parvient même a fédérer les MCs et DJs des quatre coins du Brésil et à réinventer un style habituellement plus propre aux radios pirates de Londres.

« J’ai découvert le grime avec “Shutdown” de Skepta, en 2015 », raconte SD9. « Je sais qu’il y avait des artistes brésiliens qui faisaient du grime avant ça. Des gens comme Jimmy Luv ou Vandal. Mais ça n’était pas une scène comme ce que je vois aujourd’hui. Depuis 2018, avec des MCs comme Fleezus de São Paulo ou la création de la chaîne Brasil Grime Show, on a vraiment passé une étape car les artistes unissent leurs forces. »

Avec la sortie de son album (gratifié d’une jolie note sur le site américain Pitchfork), SD9 veut faire en sorte que le grime au Brésil devienne aussi connu que son quartier. Car si Bonsucesso et les environs de Olaria et Ramos ne font pas partie des destinations proposées par les guides touristiques de Rio, tout le monde sait que c’est là que l’on trouve les véritables histoires qui façonnent l’identité de cette ville. « J’ai fait cet album avec l’envie de montrer le Rio de Janeiro qui se cache derrière la statue du Christ », raconte SD9. « Un peu comme La Haine montre ce qui se cache dérrière la tour Eiffel. »

FELIPE MAIA

felipemf [at] gmail [dot] com

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